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La prescription extinctive des voiries vicinales en Région Wallonne : une invitation à ne pas laisser passer le temps pour les acteurs du secteur immobilier

Pour les acteurs du secteur immobilier en Région wallonne – propriétaires fonciers, promoteurs ou développeurs – la compréhension des nuances juridiques entourant les voiries vicinales est non seulement un atout, mais également une nécessité. Souvent, ces chemins anciens, inscrits à l’Atlas des chemins vicinaux et serpentant à travers les propriétés, représentent un défi complexe dont il y a lieu de saisir les atours.

A ce titre, la connaissance de la législation actuelle est cruciale. Le décret wallon du 6 février 2014 prévoit ainsi, en son article 7, une règle claire : une voirie communale ne peut être supprimée que de l’accord préalable du conseil communal ou, le cas échéant, du Gouvernement statuant sur recours. Mais, est-ce là la seule voie à suivre ?

Nous verrons en effet dans le présent article qu’une autre issue peut encore être envisagée en certaines hypothèses : la suppression des voiries vicinales par l’effet de la prescription extinctive. Terrain fertile pour les stratégies juridiques, cette approche peut ouvrir aux professionnels avisés des issues favorables, ou l’opportunité d’entamer des négociations avec les pouvoirs publics.

Pour ce faire, encore faut-il naviguer habilement dans le labyrinthe des dispositions légales et de la nombreuse jurisprudence en la matière.

 

  1. Contexte Juridique Historique

La matière des chemins et sentiers vicinaux – aujourd’hui communément repris sous le vocable de « voirie communale » – a fait l’objet de plusieurs évolutions législatives. Ces évolutions ont eu une incidence significative sur la possibilité de voir une voirie vicinale disparaitre par l’effet de la prescription.

  • 1.1.  La loi du 10 avril 1841

La loi du 10 avril 1841 sur les chemins vicinaux, qui constituait le fondement de la matière des chemins et sentiers vicinaux, stipulait en son article 12 ce qui suit :

« Les chemins vicinaux tels que reconnus et maintenus par les plans généraux d’alignement et de délimitation, sont imprescriptibles aussi longtemps qu’ils servent à l’usage du public ».

Ainsi donc, tant qu’une voirie vicinale demeurait utilisée par le public, elle ne pouvait disparaitre que par le biais d’une décision administrative.

Néanmoins, si une telle voirie n’était plus utilisée par le public durant une période de trente années, la constatation de sa disparition par l’effet de la prescription extinctive devenait possible par les Cours et Tribunaux de l’Ordre judiciaire, en dehors de toute décision administrative et à charge pour celui qui s’en prévalait de démontrer ce non-usage trentenaire.

  • 1.2.  Le décret du 3 juin 2011

Un décret wallon du 3 juin 2011 a cependant modifié la loi du 10 avril 1841, en supprimant de son article 12 la condition de temporalité qui y est inscrite (« aussi longtemps qu’ils servent à l’usage du public »).

De ce fait, le décret du 3 juin 2011 a rendu les voiries vicinales imprescriptibles dès son entrée en vigueur, le 1er septembre 2012.

Il se déduit néanmoins de ce nouveau libellé, comme nous le verrons, que s’il n’est plus possible d’acter la prescription d’une voirie acquise après le 1er septembre 2012, il n’en va pas de même concernant les situations acquises avant cette date.

  • 1.3.  Le décret du 6 février 2014

Enfin, par le décret wallon du 6 février 2014 relatif à la voirie communale, la loi du 10 avril 1841 est supprimée, et transfère toute décision en matière de voirie communale au pouvoir exécutif.

A ce titre, l’article 7 du décret du 6 février 2014 stipule aujourd’hui que « (…) nul ne peut créer, modifier ou supprimer une voirie communale sans l’accord préalable du conseil communal ou, le cas échéant, du Gouvernement statuant sur recours ».

Son article 30 prévoit quant à lui que « les voiries communales ne peuvent pas être supprimées par prescription ».

 

  1. Constatation de la prescription extinctive des voiries communales postérieure au décret du 3 juin 2011

Malgré un contexte législatif changeant, le propriétaire ou le professionnel de l’immobilier qui souhaite se prévaloir de la prescription extinctive d’une voirie vicinale traversant un terrain pourra encore porter cette question devant les Cours et Tribunaux de l’Ordre judiciaire, à condition qu’il démontre que cette prescription lui est acquise avant le 1er septembre 2012 (date d’entrée en vigueur du décret du 3 juin 2011) (Civ. Namur, 12 décembre 2016, inédit, RG 12/1208/A).

Dans ce contexte, il incombe à la partie revendiquant l’effet de la prescription extinctive d’en apporter la preuve devant le Juge de Paix compétent, en se conformant à des critères spécifiques.

  • 2.1. Critères de la prescription Extinctive

Il découle de l’article 12 de la loi du 10 avril 1841, applicable jusqu’au 1er septembre 2012, que « dès que « l’usage du public » cesse, le chemin devient susceptible de possession et de prescription. Le délai de prescription trentenaire commence à courir dès le dernier passage du public » (JP Braine-L’Alleud, 1er juin 2017, inédit, RG 17/A/413).

Encore convient-il de savoir ce que constitue « l’usage du public », afin de pouvoir envisager la preuve de son inexistence.

La Cour de cassation enseigne à cet égard que la notion « d’usage du public » consiste notamment « en des actes de passages accidentels et isolés et ne doit pas être le passage habituel du public » (Cass., 13 janvier 1994, R.G. n° 9551).

Elle enseigne par ailleurs que, pour faire obstacle à la prescription trentenaire, cet usage du public suppose l’usage de la voirie vicinale « suivant le tracé prévu par l’Atlas des chemins vicinaux » (Cass. 7 mai 2009, Pas. 2009/5, pp. 1094-1100 ; Civ. Namur, 12 décembre 2016, inédit, RG 12/1208/A ).

Ainsi donc, afin d’exclure les actes de passages accidentels ou isolés, la voie la plus efficace sera de démontrer l’existence d’un obstacle matériel sur le tracé de la voirie telle qu’elle se trouve prévue à l’Atlas des chemins vicinaux. A ce titre, le Juge de Paix de Wavre relève qu’une servitude de passage « ne s’éteint partiellement qu’autant que la restriction de son mode d’exercice est dû à un obstacle matériel » (JP Wavre, 13 mars 2018, inédit, RG 17/A/443).

De ce fait, pour établir le bienfondé de son action, celui qui invoque la disparition d’une voirie vicinale par l’effet de la prescription devra démontrer, par toutes voies de droit, que, durant 30 années acquises avant le 1er septembre 2012, la voirie vicinale en question n’a fait l’objet d’aucun passage, fût-il accidentel ou isolé, sur la parcelle que cette voirie traverse et suivant le tracé prévu à l’Atlas.

  • 2.2.  Éléments de preuves à apporter

Dans ces conditions, comment démontrer le non-usage trentenaire de la voirie vicinale, acquise avant le 1er septembre 2012 ?

Ces preuves peuvent être apportées par toutes voies de droit, si bien qu’elles peuvent être variées et de tout ordre tant qu’elles restent dans la légalité.

A titre d’exemple :

  • Des photographies des lieux ou des vues aériennes anciennes permettront éventuellement de démontrer l’inexistence de l’assiette de la voirie;
  • Des attestations conformes à l’article 961/1 du Code judiciaire, reprenant le témoignage de personnes vivant sur les lieux pourraient corroborer les constats réalisés ;
  • La production de documents tels que d’anciens plans, des décisions administratives, des actes de vente, etc. ne reprenant pas l’existence de la voirie pourraient être de nature à emporter la conviction du Juge de l’inutilisation de la voirie par le public ;
  • Essentiellement et surtout, la présence d’un obstacle matériel sur le tracé de la voirie, empêchant tout passage du public durant plus de 30 ans avant le 1er septembre 2012, sera de nature à emporter la conviction du Juge auquel la demande est soumise.

Ont a cet égard été considérés comme des obstacles infranchissables susceptibles d’entrainer la disparition d’une voirie vicinale par l’effet de la prescription, la présence d’un étang ou d’une maison (Civ. Namur, 12 décembre 2016, inédit, RG 12/1208/A ) sur le tracé de la voirie, l’existence d’une clôture ancienne dont un agriculteur attestait de la présence dès les années 1950 ou encore la présence d’une barrière (JP Braine-L’Alleud, 1er juin 2017, inédit, RG 17A413).

Bien entendu, il s’agit-là d’une liste non exhaustive, si bien que tout indice ou toute preuve complémentaire pourrait être les bienvenus afin de démontrer la prescription de la voirie.

 

  1. Conclusion

Face à la complexité du sujet de la suppression des voiries vicinales en Région wallonne, il est impératif pour les propriétaires et acteurs du secteur immobilier de disposer d’une compréhension approfondie de la législation et de la jurisprudence qui y est liée.

Le choix de la voie administrative, judiciaire, ou encore d’une solution négociée avec les pouvoirs publics en dépend.

Dans tous les cas, si le propriétaire ou le professionnel de l’immobilier entend se prévaloir de la disparition d’une voirie par l’effet de la prescription, il devra veiller à présenter des preuves solides et convaincantes pour faire valoir ses droits. Ceci est d’autant plus vrai que, la prescription extinctive devant être acquise avant le 1er septembre 2012, les éléments de preuves auront tendance à s’estomper avec le temps.

Une démarche prudente et bien informée est dès lors essentielle pour naviguer avec succès dans ce cadre juridique.

 

 

Gilles de Harenne

Avocat Counsel

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